Aller au contenu

Une histoire d’ingénierie pédagogique – partie 2

  • par
Image d'un puzzle auquel il manque une pièce, utilisée comme méthaphoe de l'ingénierie pédagogique

Le mois dernier je vous ai raconté le début de l’histoire d’une ingénierie pédagogique pour un projet de formation hybride totalement nouvelle, inédite. Nous avons exploré l’étape du cahier des charges, celle de l’analyse du besoin de formation, celle de la formulation des objectifs et celle de la scénarisation.

Mais… je ne vous ai rien révélé de son sujet ni de son public.

Il est temps de tout révéler !

Une ingénierie pédagogique inédite

Un sujet tabou

Prenez une grande inspiration et réfléchissez aux sujets tabous de notre époque…

Lesquels vous viennent ? Sexe ? drogue ? rock n’roll ? Certes, oui (surtout le rock n’roll !).

Il y en a d’autres. La mort en fait partie. On n’en parle pas, on peine même à y penser. Elle et tous ses avatars que sont la maladie, la vieillesse, la faiblesse sont reléguées loin de nos vies.

Pourtant elles font pleinement partie de notre condition d’êtres humains. Difficile de s’en passer. C’est même carrément présomptueux.

D’autant plus que certain·e·s parmi nous s’en occupent tous les jours. Il y a ceux et celles qui travaillent et vivent auprès des plus fragiles. Celles et ceux qui viennent au secours des accidenté·e·s. Tou·te·s celles et ceux qui soignent les malades. Celles et ceux qui accompagnent les ancien·ne·s. Tou·te·s sont confronté·e·s un jour ou l’autre à des décès. Et là… patatras ! C’est l’abîme qui s’ouvre, l’inconnu qui se présente. Personne n’est prêt·e.

Pourtant toutes ces personnes sont formées aux métiers qu’elles exercent. Mais pas à cette partie-là, toute inéluctable qu’elle soit. Mon client repère là un angle mort : la question des décès n’est pas abordée en formation. Cette absence de formation sur ce sujet vient complexifier les pratiques professionnelles.

Alors, y aurait-il de la formation à inventer à cet endroit-là ?

Un client innovant

C’est le pari de la Coopérative funéraire de Rennes. Cette entreprise de l’économie sociale et solidaire est une entreprise de pompes funèbres. Elle se démarque des grands groupes de pompes funèbres par une approche moins marchande des obsèques. Sa priorité est d’accompagner l’organisation des obsèques dans le respect du défunt·e, de ce que fut sa vie, ses souhaits et dans le respect de ceux et celles qui restent, de leurs liens au défunt·e.

Pour réaliser ce pari, la Coopérative funéraire met en avant la nécessité de replacer la mort au cœur de nos vies. Plus on en parle, plus il est facile d’en parler, mieux on la prépare, mieux les obsèques sont organisées : c’est un véritable cercle vertueux !

Alors bien sûr, c’est d’abord un sujet qui concerne… tout le monde ! dans sa famille, dans l’intimité, avec la sécurité des relations qui font nos vies. Mais pour tous ceux et celles, dont je parlais plus haut, qui croisent la mort dans leur exercice professionnel, c’est un enjeu de formation.

D’où cette idée : et si on créait une formation pour ceux et celles qui ont à faire avec la mort au travail ?

Avant de se lancer bille en tête, il s’agit pour la Coopérative Funéraire de Rennes de comprendre où en sont les formations initiales sur ce sujet et de percevoir tout ce qui peut exister comme formation continue. Une Étude-Action sur la Formation dans le Funéraire a démarrée fin novembre 2021. La partie action de cette étude consiste à expérimenter une première formation.

Pour cette expérimentation, le comité de pilotage a choisi de se centrer sur les professionnel·le·s les plus souvent confronté·e·s aux décès, de par le public qu’ils et elles accompagnent.

Un public cible

La voici, la partie manquante de mon cahier des charges. Cette première formation, expérimentale, s’adresse aux professionnel·le·s des EHPAD, tous métiers confondus.

C’est donc pour eux·elles que j’ai conçu le questionnaire de recueil des besoins dont je vous parlais le mois dernier.

Une fois conçue, la formation a été présenté·e·s à plusieurs directeur·rice·s d’établissement du département. L’accueil a été phénoménal : nous étions en plein dans ce fameux angle mort que nous choisissions de traiter !

L’ingénierie pédagogique d’Agir en équipe face à la mort

Comme il ne s’agit pas de vous décrire de nouveau tout ce dont j’ai parlé dans le dernier article, concentrons-nous maintenant sur ce que les questionnaires m’ont permis de mettre en évidence.

L’analyse du besoin de formation

Dans les questionnaires et au cours des entretiens, des difficultés étaient plusieurs fois nommées :

  • La préparation du corps et son départ de la structure.
  • Le temps et les locaux adaptés à la présentation du corps et à l’accueil des familles endeuillées.
  • Plus largement : leur accompagnement.
  • Ou leur absence.
  • Les questions qui se posent, les zones d’ombre qui rendent le décès et l’accueil des familles plus inconfortables.

Les questions posées mettaient aussi en lumière les forces des équipes, ce qui pouvaient permettre de résoudre les difficultés rencontrées :

  • La formalisation de protocoles.
  • La ritualisation.
  • Une meilleure connaissance des réglementations et possibilités en matière d’obsèques.
  • La formation ou la supervision.
  • Peut-être autour de la posture de soignant·e face au décès et au deuil.

Les intentions pédagogiques

De ces besoins de formation, j’ai formulé des intentions. La formation à imaginer devant être le moyen de réaliser ces intentions :

  • Encourager la mise en place de protocoles et d’espaces de discussion autour des décès dans les établissements, afin que le collectif et la ritualisation des actes soient soutenant pour chacun·e.
  • Proposer une information complète sur les possibilités, réglementations et actes des acteur·rice·s du funéraire, afin que les professionnel·le·s aient de meilleures représentations et puissent les transmettre aux familles.
  • Favoriser la prise de conscience de la valeur des rituels au sein de l’établissement, contribuer à leur mise en place, afin que le deuil des professionnel·le·s puisse être entamé et soutenu.

Les objectifs pédagogiques

Si vous avez lu mon article du mois dernier, vous savez que ce qui suit est la formulation des objectifs pédagogiques. Les voici donc :

À la fin de la formation, les apprenante·e·s seront en capacité de :

  • répertorier collectivement les actes à réaliser suite à un décès ;
  • nommer ces actes, les décrire à un tiers ;
  • préparer collectivement des temps ritualisés pour l’équipe
  • à mettre en place au moment d’un décès ;
  • décrire les actes des acteur·rice·s du funéraire à un tiers ;
  • décrire les possibilités offertes aux familles pour les cérémonies funéraires ;
  • imaginer collectivement des temps ritualisés pour l’équipe et les résident·e·s à mettre en place pour dire au revoir au·à la défunt·e.

La scénarisation pédagogique

Il s’agissait ensuite de visualiser quelles étapes et donc quelles activités étaient nécessaires pour atteindre ces objectifs. Je vous passe quelques détails mais voici ce à quoi je suis parvenue.

Répertorier, nommer, ritualiser les actes de l’équipe

Pour les trois premiers objectifs qui visent les pratiques de l’équipe, j’ai imaginé cinq activités différentes. D’abord l’écoute d’apports d’un·e expert·e sur le deuil pour les professionnel·le·s et la valeur des rituels. Ensuite un temps de parole, de partage d’expérience sur les actes, les protocoles en cas de décès dans les établissements. Ce partage permettant ensuite de modéliser collectivement tous ces actes. Puis l’écoute d’un récit de professionnel·le témoignant d’un rituel particulier mis en place au moment de la toilette mortuaire par exemple et des bénéfices qu’il·elle en a tiré. Suite à quoi les professionnel·le·s pourraient vivre une séance d’idéation sur les rituels possibles autour du protocole au moment du décès.

Décrire le funéraire

Pour les deux objectifs centrés sur les pratiques des acteur·rice·s du funéraire et les possibles en matière d’obsèques, j’ai visualisé qu’il fallait au moins trois étapes successives. Tout d’abord des temps d’écoute de témoignages. Ensuite l’accès à des fiches récapitulatives permettant de mieux mémoriser les informations. Enfin des jeux de manipulations de ces informations qui permettent de se les approprier.

Imaginer ses pratiques professionnelles

Il restait l’objectif qui visait la mise en place de nouvelles pratiques pour beaucoup de professionnel·le·s : imaginer collectivement des temps ritualisés pour l’équipe et les résident·e·s à mettre en place pour dire au revoir au·à la défunt·e. L’atteinte de cet objectif pouvait être soutenue par les apports reçus sur le processus de deuil des professionnel·le·s. Deux activités supplémentaires étaient néanmoins nécessaires. D’abord l’écoute du récit d’un·e professionnel·le témoignant d’un rituel particulier mis en place pour dire au revoir à un·e défunt·e et des bénéfices qu’il·elle en a tiré. Ce temps permettant d’ouvrir sur une séance d’idéation sur les rituels d’au revoir.

J’ai réalisé l’agencement de ces activités entre elles en fonction du volume d’heure qui était défini au cahier des charges. J’ai également tenu compte des difficultés liées au sujet lui-même. On ne se met pas à blablater sur la mort sans un minimum d’échauffement, d’apprivoisement ! C’est pourquoi j’ai positionné en premier les apports sur le deuil. C’est plus facile de commencer par écouter parler quelqu’un…

Plus le niveau d’implication était fort pour les activités imaginées, plus je les ai positionnées tard dans la formation. J’ai aussi dédié ce qui ne nécessitait que peu d’apport du collectif à la partie distancielle et asynchrone de la formation.

La formation prenait une forme concrète, je m’approchais de plus en plus d’un déroulé pédagogique détaillé. Ce fut le bon moment pour déterminer le titre de cette expérimentation !

Le choix du titre de la formation

C’est lorsque j’ai présenté au client tout ce que j’avais formalisé et imaginé que la question du titre s’est posée. Puisque les contenus et les modalités de la formation étaient validées par le client, nous pouvions fixer les dates concrètes. Il allait donc falloir communiquer pour recueillir des inscriptions et que cette expérimentation ait lieu.

Or sans un bon titre, impossible d’attirer l’attention, de susciter la curiosité ! Ce n’est pas le seul élément bien sûr, mais il est nécessaire.

Nous avons souhaité mettre en évidence trois choses. D’une part, ce fameux sujet tabou : la formation abordait la mort. Il ne s’agissait pas de le masquer mais au contraire d’annoncer clairement la couleur. Ensuite, la formation permettait de modifier, d’enrichir ses pratiques. Il était donc question d’action ! Enfin la dimension collective était très présente, à la fois comme une ressource dès les questionnaires et comme une modalité de formation dans les activités que j’avais imaginées.

Agir. En équipe. Face à la mort. Tadaaaa !

Je vous donne rdv dans un mois pour la suite de cette histoire ! Je vous raconterai comment j’ai conçu la partie distancielle et asynchrone de cette formation, le module d’e learning.

Et si vous souhaitez découvrir la première partie de cette histoire, c’est par ici.